L’Italie du Nord, un voyage au fil de l’histoire

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Notre itinéraire en Italie du Nord est un véritable voyage temporel. De ville en ville, nous passons d’une époque à l’autre, et progressons dans notre connaissance de l’histoire italienne.

La première étape sur ce chemin est Vérone. Une ville qui sert de décor à la célèbre tragédie de Shakespeare, Roméo et Juliette. Étant devenus quasiment agoraphobiques après ces deux mois de marche dans les Alpes autrichiennes puis italiennes, nous n’avons pas essayé d’approcher le supposé balcon de Juliette. Notre visite de la ville nous a cependant ramenés à plusieurs reprises vers l’histoire des deux amants.

Croquis Vérone

Vérone, entre amours et déchirements 

Vérone se situe au pied des Alpes, là où l’Adige rejoint la plaine du Pô. C’est une porte d’entrée de la vallée menant au col de Brenner, point de passage le plus bas et le plus emprunté entre l’Italie et l’Autriche. Dés sa fondation, la ville devient donc une place stratégique. D’abord pour l’Empire romain dans sa phase d’extension, puis pour les peuples barbares venus du nord et de l’est (goth, lombards), et enfin, pour les empereurs germains dominant le nord de l’Italie du Xe au XVIe siècle.

Lors des conflits opposant ces derniers à la papauté, Vérone prend position pour l’empire. C’est à cette époque, durant la querelle des Investitures, que naît l’histoire de Roméo et Juliette. L’Italie est alors divisée entre guelfes et gibelins. Les premiers veulent réformer l’Église, tandis que les seconds se battent pour conserver le pouvoir de l’empereur sur l’investiture du clergé. La ville de Vérone est particulièrement secouée par cette lutte. À plusieurs reprises, les familles da Romano puis Scaligers, qui sont à la tête de la ville, tentent d’apaiser la situation en unissant le sort de familles ennemies par des mariages. Celui de Roméo et Juliette est l’un d’eux. Leur histoire a été transportée par tradition orale du XIVe au XVIe siècle puis immortalisée par la plume de Shakespeare.

Vérone château

Vicence, ville d’Andrea Palladio

Nous quittons Vérone et prenons la direction sud. Nous parcourons une centaine de kilomètres qui nous transportent autant d’années plus tard au début de la renaissance italienne dans la ville de Vicence, connue comme la ville de Palladio.

Andrea Palladio est un architecte et théoricien humaniste. Il commence sa carrière comme tailleur de pierre, devient maitre maçon puis architecte. Il s’intéresse alors à l’architecture antique et effectue plusieurs voyages sur les sites de fouilles archéologiques à Rome. Il s’attache à retrouver les ordres et règles de proportion de ces architectures et les théorise dans son essai « Les quatre livres de l’architecture ». Un traité qui a pour ambition de créer une méthode pour rationaliser la production architecturale de ses contemporains et éviter de retomber dans ce qu’il considère être un errement du passé : le style gothique.

Croquis Palladio villa

Lorsque Andrea Palladio naît en 1508, la République de Venise a atteint son apogée. L’ensemble des villes que nous visiterons de Vérone à Cividale sont alors sous le joug de la Sérénissime. De nombreuses familles patriciennes s’installent dans l’arrière-pays vénitien et y construisent des villas. Un moyen pour l’aristocratie d’asseoir sa domination sur les territoires nouvellement conquis.

Andrea Palladio s’empare de cette typologie domestique et utilise les codes des constructions antiques pour mettre en scène le pouvoir de ces familles. L’exemple le plus parlant est la villa Rotonda. Une véritable villa-temple, implantée au sommet d’une colline, construite selon un plan en croix grecque dont le centre est surmonté par une coupole. Les quarte façades sont parfaitement identiques composées d’un socle, de colonnades et d’un fronton triangulaire.

Croquis Vicence Palladio

Padoue et ses fresques

Après cette visite de Vicence, nous prenons la direction de Padoue. Tout en avançant vers le sud, nous remontons de quelques siècles dans l’histoire italienne.

Padoue nous transporte au XIVe siècle, durant le bas moyen âge. Une période d’indépendance de la ville, entre la domination de Vérone et celle de Venise, au cours de laquelle est réalisée une série de fresques récemment classées au patrimoine mondial de l’UNESCO. À la veille de la renaissance italienne, ces peintures témoignent de deux évolutions importantes. La première réside dans les techniques de représentation. En s’appuyant sur des progrès faits dans d’autres domaines, la peinture gagne progressivement en réalisme. Les paysages prennent de la profondeur et, sur les visages des personnages, se dessinent des émotions. La seconde est liée au rôle de ces fresques. Elles décorent tant des lieux de culte, tels que la basilique saint Antoine de Padoue, que des édifices séculiers, comme le《Palazzo de la Ragione》(palais de la raison). Dans ce dernier, la peinture est mise au service du pouvoir politique. On peut y voir représenté sur les murs les différents domaines dans lesquels intervient la justice. L’art qui était jusqu’alors sacré s’adapte pour célébrer la puissance de l’État, et bientôt celle de mécènes et familles nobles.

Padoue basilique saint Antoine

Venise, une république à la longévité exceptionnelle 

Ayant quitté Padoue, nous poursuivons notre marche vers la mer Adriatique. Nous cheminons le long de cours d’eau. Au fur et à mesure que nous approchons de la lagune de Venise, ceux-ci se transforment en canaux. Les digues se resserrent autour du lit des rivières et les habitations se rapprochent des quais.

Nous arrivons ainsi à Venise. Dans une histoire italienne ponctuée d’invasions barbares et de luttes de pouvoir entre familles d’aristocrates, la République de Venise étonne par sa stabilité. Durant 1100 ans, 120 doges se succèdent à la tête de l’État. Malgré plusieurs épidémies de peste et des tentatives d’invasions par des ennemis souvent plus gros qu’elle, la Sérénissime résiste et ses institutions restent peu ou prou inchangées. Une stabilité qui n’est pas le fruit du hasard, mais qui est certainement liée à un habile usage du hasard. Je parle ici de l’usage du tirage au sort, omniprésent dans les institutions de la République.

Croquis basilique saint Marc Venise

Venise est une république oligarchique dans laquelle le pouvoir est détenu par 42 familles patriciennes avec à leur tête un Doge. Le doge est désigné par un comité dont les membres sont eux-mêmes désignés par une succession de tirages au sort et d’élection. Une procédure longue et complexe qui présente deux intérêts :

  • Impliquer l’ensemble des personnes siégeant au grand conseil (hommes de plus de 25 ans issus des 42 familles au pouvoir) de manière égale. Chacun est invité à tirer une boule en bronze ou en or dans l’urne, et a donc les mêmes chances de prendre part dans le choix du Doge. De plus, le processus itératif permet la participation d’un maximum de patriciens même si leur influence sur le résultat final est limitée.
  • Lutter contre la corruption. Le nombre d’étapes et l’alternance entre élection et tirage au sort rendent toute corruption complexe.

Cet exemple est loin d’être un cas isolé. Le sort intervient également dans l’élection des magistrats de la république, l’attribution de leurs charges, ou encore la désignation des dirigeants de guildes.

Venise canaux

Aquilée, cité romaine endormie sous nos pieds

Nous sommes arrivés à Venise par le pont qui lie les iles à la terre et quittons la ville par la mer. Nous rejoignons en bateau le cordon dunaire qui ferme la lagune, et marchons à présent vers l’est, longeant la mer Adriatique, en direction de la Slovénie.

Ce chemin nous emmène à Aquilée, une petite ville qui abrite sous son sol les vestiges d’une importante citée romaine. Aquilée a été fondée plus de cinq siècles avant Venise et a occupé au sein de l’Empire romain une place comparable à celle de Venise au moyen Âge. Comme cette dernière, elle a su tirer profit de sa situation géographique pour devenir un important nœud commercial entre le bassin méditerranéen et l’Europe centrale.

Croquis Aquilée

Palmanova, ville défensive construite ex-nihilo 

Nous quittons Aquilée et prenons cette fois la direction nord pour nous rendre à Palmanova.

Nous sommes de retour au XVe siècle, à une époque où la région est dominée par la République de Venise.
La Sérénissime se trouve à un tournant de son histoire. Elle a atteint son apogée en terme d’expansion territoriale et se trouve menacée par les autres grandes puissances européennes. Les ottomans grignotent les uns après les autres les ports vénitiens du bassin méditerranéen, tandis que les guerres d’Italie et les velléités expansionnistes de l’empire autrichien menacent ses territoires de la plaine du Po et du Frioul, dits « domini di terra ferma ». En parallèle la puissance de Venise est mise à mal par le déplacement des routes commerciales de la mer méditerranée vers l’océan atlantique.

Aquilée ruines

C’est dans ce contexte qu’est fondée Palmanova, une ville forteresse, située a l’extrémité est de la plaine du Frioul. Face à l’évolution de l’armement, les fortifications d’Udine située juste au nord étaient devenues obsolètes. Venise a donc entrepris la construction de cette cité ex nihilo. La particularité de Palmanova est la conception simultanée de la ville et de ses fortifications. Les murailles forment une étoile à neuf branches. À l’intérieur, le réseau viaire est composé d’une série de rues concentriques suivant la forme ennéagonale de la ville, et de trois axes transversaux menant aux trois entrées et convergeant vers la place centrale. Entre les pointes de l’étoile, des bastions permettent à chaque pointe de défendre ses voisines. Une disposition qui nous a immédiatement fait penser aux fortifications de Vauban en France. Palmanova a un petit siècle d’avance sur les réalisations de l’ingénieur français. A-t-elle été une référence pour celui-ci ? Ce n’est pas impossible !

croquis Palmanova

Cividale del Friuli, symbole de l’Italie Lombarde

Nous quittons Palmanova par la porte Est et nous nous dirigeons vers Cividale del Friuli, dernière étape de notre itinéraire italien. La ville se situe au pied des alpes Juliennes, qui séparent l’Italie et la Slovénie. Nous effectuons un nouveau saut temporel qui nous transporte dans l’Italie lombarde.

Les Lombards sont un peuple nomade venu de Scandinavie. Du Ier au VIe siècle, ils migrent vers le sud jusqu’à conquérir l’Italie où ils se sédentarisent et se convertissent au christianisme. Entre 572 et 752, ils s’emparent de la quasi-totalité de la péninsule italienne, n’épargnant que les états pontificaux et les régions des Pouilles, de la Calabre et la Sicile qui demeurent aux mains de l’empire byzantin.

Cividale del Friuli

Cividale del Fruili était la capitale du premier duché lombard en Italie. La ville abrite les exemples d’architecture de cette époque les mieux conservés, dont notamment l’oratoire de Santa Maria in Valle. Cette chapelle témoigne de la synthèse culturelle réalisée par les Lombards entre l’héritage romain, la spiritualité chrétienne, et les influences germaniques et byzantines. L’intérieur de l’édifice est décoré de bas relief en stuc, les personnages y sont représentés avec un corps très allongé, et habillé de toges finement plissées, deux traits caractéristiques de l’art byzantin.

C’est ici que ce fini notre voyage à travers l’histoire de l’Italie du Nord. Nous quittons le pays par la route empruntée par les Lombards à leur arrivée, il y a 15 siècles, et rejoignons la Slovénie. Nous allons cheminer doucement vers Byzance dont nous avons entraperçu les influences à Cividale del Fruili.

Croquis Cividale del Friuli

Marie Epagneau 

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