Poursuivi par la brume depuis une semaine, nous pénétrons en Hongrie sans vraiment nous en rendre compte. Seul élément notable, un bâtiment de l’ère soviétique, abandonné depuis l’entrée du pays dans l’espace Schengen.
Premiers pas …
Nous sommes en Transdanubie, une région située à l’ouest du Danube, dont le paysage se compose de petits monts et de grandes plaines agricoles. Principalement rurale, elle a subi de plein fouet les effets de la transition du régime communiste au régime de marché européen. Dans les petits villages, les pancartes “elado” (à vendre) se succèdent. Alors que le régime totalitaire avait mis en place une économie de subsistance principalement axée sur l’agriculture et l’industrie, le démantèlement du rideau de fer a bouleversé l’économie et initié un fort exode rural.
Second phénomène démographique, venant accentuer les effets de cet exode rural, la chute du taux de natalité. Avec 10 ans d’avance sur le reste du continent, en 1959, la Hongrie est le premier pays européen à passer en dessous du seuil de 2,1 enfants par femme. Un seul symbolique permettant d’assurer le remplacement des générations. À cela s’ajoute un faible solde migratoire dû à l’exode de la population qualifiée, accentué par l’intégration de la Hongrie dans l’Union européenne, et une politique hostile à l’immigration.
Nous traversons des villages quasi déserts, accueillis d’abord par des aboiements, avant d’éventuellement croiser un habitant. Les clématites et autres lianes envahissent les jardins, grimpant sur chacune des maisons délaissées pour se hisser vers la lumière. Construits avec des matériaux naturels et locaux (l’argile et le bois), les murs retournent à la terre et les charpentes se décomposent. La nature reprend ses droits.
Le bassin pannonien,
une expérience de marche proche du sol
Après quelques jours de marche, nous arrivons dans le bassin pannonien, une vaste plaine traversée par le Danube, et encadrée par les Alpes, les Alpes Dinariques et les Carpates. Il y a 5 millions d’années, cette région se trouvait sous l’eau. Loess et sables se sont alors déposés dans les fonds marins pour émerger lors de l’assèchement de la mer de Pannonie. C’est cette alternance de sols qui dessine le paysage le long de notre chemin. Les loess, sédiments argileux, ont formé de petits monts, tandis que les sables s’étendent dans de vastes prairies.
En arrivant aux abords du lac Balaton, c’est ce paysage de prairies appelées “puszta” que nous découvrons. La végétation naturelle y est herbeuse et buissonnante. Dès leur arrivée dans ces plaines, les Magyars y ont développé un élevage extensif. Les “csordás” et “juhász”, éleveurs montés à cheval, encadraient des troupeaux de buffles et d’ovins. Aujourd’hui seuls subsistent quelques fragments de ce biotope dans la réserve de buffles de Zalakomar. Il faut aller de l’autre côté du Danube, dans le parc national de Hortobágyi, pour observer de vastes “puszta” à l’état sauvage. Partout où elles ne sont pas protégées, ces plaines au sol fertile ont été mises au profit de la production céréalière. L’agriculture intensive y a remplacé l’élevage extensif.
La Hongrie, pays des magyars
Après avoir traversé les monts Mecsek, nous descendons vers Pécs. Une ville dont le patrimoine témoigne du passé tumultueux du Magyarország, « pays des Magyars », comme le nomment ses habitants.
Les Magyars étaient un peuple nomade originaire d’Asie centrale. Ils ont d’abord migré vers l’Oural, puis vers la mer Noire, avant de se sédentariser au Xe siècle dans les plaines de Pannonie.
À partir de la fondation du royaume de Hongrie, les frontières de celui-ci n’ont eu de cesse de fluctuer : conquêtes des Balkan et de la Transylvanie, défaites face à Soliman le Magnifique, annexion par les Habsbourg et enfin signature du « compromis austro-hongrois » en 1867. À l’issue de la Première Guerre mondiale, cet empire est disloqué et la Hongrie que nous connaissons est créée. Le traité de Trianon définit les frontières de l’actuelle Hongrie en l’amputant d’un tiers des magyarophones et des deux tiers de son ancien territoire. Une tragédie pour certains habitants qui rêvent du retour de la « Grande Hongrie ».
Les frontières géographiques du pays étant peu évidentes, c’est à travers leur langue unique que les Magyars s’identifient. Lors de leur installation dans les plaines de Pannonie, les Magyars ont adopté toute une partie de la culture des peuples autochtones, notamment la religion catholique et les pratiques d’élevage, mais ont en revanche fait du magyar la langue officielle du Royaume de Hongrie. C’est ainsi que cette langue finno-ouralienne s’est imposée sur ce territoire entouré de Slaves et de germanophones.
Premier rencontre avec le Danube
Après quelques jours à Pécs, nous reprenons notre route vers l’est et arrivons à Mohach. La ville est connue pour ses « Buso », costumes portés lors du carnaval. Tout comme à Ptuj, en Slovénie, le cortège passe traditionnellement de maison en maison pour chasser l’hiver et apporter le beau temps et l’abondance. La légende raconte qu’en 1700 ils ont fait fuir les ottomans grâce à leurs masques effrayants.
Nous sommes sur les rives du Danube, fleuve qui va nous guider en Croatie puis en Serbie jusqu’aux “portes de fer”, là où il traverse la chaîne des Carpates pour entrer en Roumanie. Alors que nous marchons, toujours dans la brume, sur une digue en rive du fleuve, une barrière de barbelés se dresse devant nous. Nous sommes à la frontière croate, nous quittons ici la Hongrie mais aussi l’espace Schengen.
Marie Epagneau