La Slavonie Orientale,
entre vol léger et lourd passé
Nous sommes en Croatie, et plus exactement en Slavonie Orientale. Une région située à l’est du pays qui a été le théâtre d’affrontements entre Serbe et Croates de 1991 à 1995. En 1998, la région est le dernier territoire revendiqué par les indépendantistes à être intégré à la Croatie.
Nous suivons les méandres du Danube à travers la réserve naturelle de Kopački Rit. Le pas silencieux et l’œil attentif, le regard à l’affût des grands cormorans qui peuplent la réserve.
Ce n’est qu’en arrivant à Ilok que nous prenons conscience du grave passé de la région. Face à la colline où trône un petit château et une église, une autre colline est couverte de tombes. Dans les rues, les façades criblées d’impacts de balles et les maisons à l’abandon se succèdent. Nous ne sommes qu’à quelques kilomètres de la tristement célèbre ville de Vukovar. Ici, les Serbes ont tenu un siège de 87 jours à l’issue duquel 250 Croates, venus se réfugier dans l’hôpital, ont été raflés, transportés jusqu’à Ovčara, et fusillés.
Si l’ancien président, Boris Tadic, s’est rendu au mémorial de Ovčara en 2010 et y a présenté ses excuses au nom de la Serbie, certains faits et chiffres font encore débat. De nombreux Serbes que nous avons rencontrés estiment que la communauté internationale les considère à tort comme les seuls coupables de cette guerre. « Il y a eu des atrocités dans les deux camps », nous a-t-on souvent répété.
Fruska gora,
à la découverte des traditions Orthodoxes
Nous quittons la Slavonie, passons la frontière serbe, et arrivons au pied de la Fruska Gora. Seules montagnes émergeant dans la plaine, ce massif était, il fut un temps une île dans la mer de Pannonie. Entre le XVe et le XVIIIe siècle, 35 monastères orthodoxes y ont été construits.
Nous marchons de monastère en monastère dans la forêt enneigée. Nous sommes à la veille de Noël, c’est l’occasion de découvrir les traditions orthodoxes, pensons-nous. Le 24 au matin, nous nous présentons donc dans un temple et demandons l’heure de la messe … On nous explique gentiment qu’ici on ne fête pas Noël le 24, ni le 25, mais le 7 janvier. Une date qui correspond au calendrier julien, décalé de 13 jours par rapport au calendrier georgien que suivent les chrétiens et protestants. Il va falloir prendre notre mal en patience !
Le 7 janvier nous sommes à Vinča, une petite ville, située quelques kilomètres après Belgrade. Nous arrivons à l’église en milieu d’après-midi, les paroissiens sont en train de décorer une grande branche de chêne et d’allumer un feu dans le cloître. Après la cérémonie, chacun viendra alimenter le feu avec un rameau de chêne. Un geste qui symbolise le bois apporté par les bergers le soir de la naissance du christ pour réchauffer l’étable.
Le Danube n’est pas un long fleuve tranquille
Nous avons parcouru le massif de Fruska Gora dans sa longueur, et arrivons à Novi Sad, la seconde plus grande ville du pays. Celle-ci s’étend sur la rive nord du Danube sous l’œil vigilant de sa forteresse, perchée sur un rocher de l’autre côté du fleuve.
De Novi Sad jusqu’à la frontière roumaine, notre chemin sur le long du Danube sera ponctué de places fortes, témoignant de l’histoire tumultueuse de la région.
Dans l’antiquité, le Danube a défini pendant plusieurs siècles la limite entre l’Empire romain et les peuples barbares. Il a ensuite servi de frontière entre le Despot Serbe et le Royaume de Hongrie, entre les Empires ottomans et austro-hongrois, et enfin, entre le Royaume de Serbie et l’Empire austro-hongrois.
Aujourd’hui, dans une Serbie enfin apaisée, il sépare la Voïvodine, province autonome dont la capitale est Novi Sad, du reste du pays. Cette région, rattachée au royaume des Serbes, Croates et Slovènes à l’issue de la Première Guerre mondiale, faisait auparavant partie de l’Autriche-Hongrie et conserve encore aujourd’hui une importante minorité hongroise (14 % recensement de 2010).
Ainsi, la chute des grands empires a mis fin au rôle défensif du Danube pour en faire un axe de communication. Ce mouvement a été initié en 1856 par le traité de Paris, signé à l’issue de la guerre de Crimée, qui démilitarise la mer Noire et libéralise la navigation sur le Danube. Durant la guerre froide, cet axe de communication perd de son importance pour la retrouver dans les années 90 avec l’ouverture du canal Rhin-Maine-Danube qui permet de relier la mer Noire à la mer du Nord par voie fluviale.
Belgrade, ville effervescente emprunte de traditions
Seuls trois jours de marche séparent Novi Sad et Belgrade. Nous arrivons dans la capitale pour le Nouvel An (du calendrier géorgien). La ville crépite, des feux d’artifice jaillissent de toutes parts. Chaque terrasse, chaque toiture, semble avoir été mise à profit dans ce spectacle de sons et lumières qui regroupe fêtards amateurs et pyrotechniciens officiels.
Dans l’ancienne Yougoslavie, une fois par an, pour l’anniversaire de Tito, un relais géant était organisé à travers le pays. Des bâtons, sculptés et décorés par chaque village, étaient transportés de main en main pour être remis à Tito à l’issue d’une grande cérémonie dédiée à la jeunesse.
Ce rituel avait pour vocation d’unir les Yougoslaves autour du général et était prétexte à l’organisation de multiples événements à travers le pays (concours de décoration de bâtons, sélection des coureurs…). En 1952, 1,5 million de jeunes coureurs ont parcouru 130 000 km avec l’un de ces bâtons à la main.
Le Danube, entre désert et montagne
Après une bonne semaine de pause dans la capitale, nous quittons Belgrade et reprenons notre route le long du Danube.
Passée la forteresse de Smederevo, nous traversons le fleuve pour retourner en Voïvodine et nous rendre dans la réserve de Deliblatska peščara. Également appelée « Sahara d’Europe », cette réserve est la plus grande étendue sablonneuse de notre continent. Elle faisait autrefois partie d’un vaste désert créé par le retrait de la mer de Pannonie. Au XVIIIe siècle, alors que la région était sous le contrôle de l’Empire austro-hongrois, cette plaine a été boisée pour stabiliser le sol et éviter que le sable ensevelisse les villages avoisinants. C’est ainsi que s’est constituée cette végétation atypique mêlant pins, genévriers, bruyères et genêts.
À l’approche de la frontière roumaine, nous traversons à nouveau le Danube pour nous rendre dans le parc national du Djerdap. Le fleuve traverse ici la chaîne des Carpates, passant dans d’étroites gorges. L’entrée de ce défilé est marquée par la forteresse de Golubac. Composée d’un ensemble de tours accrochées à la falaise, celle-ci contraste avec l’horizontalité des longs murs défensifs que nous avons pu voir à Novi Sad, Belgrade et Smederevo.
Après 600 km de marche, nous quittons ici le Danube et avec lui ses petits villages de pêcheurs, ses longues barges, sa brume matinale et ses couchers de soleil époustouflants.
Majdanpek et Bor, entre soif de profit et conscience environnementale
Nous tournons la page culturelle et partons à la découverte d’une autre facette de la Serbie. La Serbie industrielle laissée aux mains des capitaux russes et chinois. Les uns construisant une nouvelle ligne de chemin de fer, les autres exploitant les ressources minières.
Majdanpek est une petite ville construite sur un sol riche en cuivre et en or. Nous y arrivons par les hauteurs et découvrons ces quelques immeubles regroupés entre deux trous béants (200 m de profondeur) dans lesquels s’activent camions et pelleteuses.
Ces machines façonnent le paysage, créant vallées, lacs et montagnes, dans le but de mettre à jour des filons miniers et d’en extraire de 0,2 à 0,4 g d’or par tonne de terre. De la taille des camions, consommant chacun l’équivalent de 80 voitures, à celle de ces précieuses pépites métalliques, tout ici est hors d’échelle.
Plus petites encore que les particules d’or tant convoitées, et pourtant plus palpables, sont les particules de dioxyde de soufre présentes dans l’air. Dans la ville de Bor, grande sœur de Majdanpek située quelques kilomètres au sud, le seuil recommandé par l’OMS est dépassé deux à trois fois par mois.
Les habitants, conscients de ces problèmes environnementaux, nous ont tout de suite alertés. « Ne restez pas ici, l’air est mauvais « . Cependant dans une ville où un sixième de la population travaille pour le même employeur, les pouvoirs publics ont peu de marge de manœuvre. D’après notre hôte à Bor « tous les ans à un moment il y a une manifestation, mais rien ne change ».
L’ouverture d’une nouvelle mine au sud de la ville inquiète tout particulièrement. Celle-ci pourrait polluer la Morava, un important affluent du Danube, et ainsi impacter l’élevage et l’agriculture de toute une partie du pays.
La pollution en Serbie est un sujet préoccupant, et la vente des industries lourdes à des investisseurs étrangers ne présage rien de bon, mais nous ne pouvons pas conclure cet article sur une note si négative ! Ce pays nous a réservé un accueil extraordinaire. Nous ne comptons pas le nombre de fois où on nous a interpelés pour nous proposer une boisson chaude, un repas, un lit… Une curiosité et une générosité spontanée qui nous ont apporté chaleur et réconfort dans cet hiver parfois rude.
Marie Epagneau